Depuis le 16 mars, j'écris un journal de confinement.
Le besoin de scander ces journées et de garder une trace écrite de leur contenu me pousse à rédiger des notes sur un petit zap book.
Ecrites à la main, mal, sur un papier pas très beau, je prends le parti de désacraliser ces notes, de ne pas en faire cas.
J'imagine plutôt un souvenir intime, à redécouvrir et relire dans plusieurs années.
Quelques extraits en désordre pour rejouer la partition des semaines passées.
Dans peu de temps tout va se diluer dans une brume d'amnésie.
A. porte son sweatshirt rose à l'envers pour se protéger la bouche avec sa capuche.
Je me mets devant mon ordi mais je ne sais pas quoi faire.
Il fait un temps magnifique.
La vie humaine s'arrête mais la nature est en pleine éclosion.
J'ai fait un grand ménage ce matin au soleil.
Je danse le mambo.
La rue est vide, le silence est presque total.
On entend un coq, des oies, des chevaux et des oiseaux.
On regarde Klute le soir. Donald Sutherland est trop mignon !
Tarte Tatin.
Un jour de retard et déjà ce dimanche s'est estompé dans ma mémoire. C'est un véritable exercice d'explorer en profondeur, d'aller au delà de ce clapotis du quotidien pour redécouvrir les joyaux de cette journée. Quels sont-ils ?
Sensation de soleil brûlant derrière la vitre.
Je suis de tout coeur avec C. et j'imagine avec effroi sa solitude et son angoisse, seule chez elle.
Gym et skype avec E.
L. va mieux.
M. est en danger.
On peint le petit mur du balcon en bleu vidéo. Un bleu électrique, profond, vibrant et mat.
Le bébé de B. est né, c'est une fille.
Le soleil est infatigable.
Je fais des masques. Comment la vie a-t-elle pu basculer ainsi en si peu de temps ? Me voilà, accroupie par terre, en train de fabriquer des accessoire de SURVIE !
Les infos disent que la moitié de l'humanité est confinée.
Mais de quoi a été fait ce vendredi 28 ? L'avons nous vraiment vécu ?
Va-t-on changer de rhyme et d'activité parce que c'est samedi ? On hésite.
Dois-je faire un break ? Mais un break de quoi ?
On est loin du tourbillon du quotidien en hyper activité. Il n'y a plus de coupures ni de chaos.
Sauf quand une mauvaise nouvelle arrive comme celle de C. Là, l'électrochoc est puissant.
Difficile d'oublier cet évènement aigu qui reste dans nos pensées étales comme une épine
dans le doigt.
Je dors devant James Bond, docteur No.
Une discussion au diner qui dérape vers l'angoisse du lendemain et surtout du futur.
Les enfants jettent à notre tête leur profond malaise face à cet avenir bouché, noir, dans lequel ils n'arrivent pas à se projeter, à imaginer construire quelque chose.
Rien. Mais le temps passe et sans ennui. Comment est-ce possible ?
Je passe tout le côté gauche du jardin à la grelinette.
Les épinards sortent ! Quelques petites têtes de petits pois !
M. est mort ce matin.
Le cerisier est à son épanouissement maximal. Une vraie neige.
Et personne ne peut serrer C. dans ses bras.
Battage de casserole à 20h. Je fais connaissance avec les voisins qui tapent aussi.
Les échanges et contacts sociaux les plus simples me manquent. Les conversations un peu routinières, inutiles, les rencontres de hasard, les discussions sur un bout de trottoir.
On se sent seuls ensemble en famille, comme sur une île. Ce n'est pas pesant heureusement mais ce n'est pas le paradis non plus. Au moins la fin d'un fantasme !
Les journées se découpent en tranches de plus en plus fines dont l'enchainement se fait sans contraintes, sans planning, sans chef d'orchestre. Je m'y installe, enfin à mon aise.
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